Voici un texte que j’ai rédigé peu de temps après avoir pris ma retraite, et que j’ai récemment eu la permission de publier de la part d’Alian. Avec cette année olympique qui débute, j’ai pensé qu’il pourrait donner à certains une autre perspective et, conséquemment, un regain de motivation qui les aiderait à réaliser leur plein potentiel. Bonne année! 🙂
Avec un peu moins de 12 millions d’habitants à ce jour, Cuba est une puissance mondiale en boxe depuis des décennies. Leur dominance fascine ou, à tout le moins, impressionne.
Lorsque j’ai découvert la boxe, Guillermo Rigondeaux et Mario Kindelán étaient au sommet de leur art. L’agilité, l’intelligence, l’humilité de ces icônes du sport m’ont inspirée tout au long de ma carrière. Alors, quand José m’a offert d’aller rendre visite à l’un de ses anciens entraîneurs et de voir une « vraie de vraie » académie de boxe dans la province qui a vu grandir Kindelán, l’idée de décrocher complètement m’est soudainement apparue beaucoup moins attrayante…
Holguín, Cuba – le 8 janvier 2018
Le bruit des voitures s’est apaisé depuis quelques minutes déjà quand nous descendons du « coco taxi ». L’académie provinciale de boxe est située en retrait de la ville, à côté d’une fabrique de bière et à peu près rien d’autre. Quelques maisons modestes bordent la rue où nous nous trouvons.
Cinq minutes de marche nous séparent maintenant de l’Académie 28 de enero, où mon copain a passé son adolescence. Plusieurs boxeurs y vivent en permanence, certains répartissant leur temps entre l’entraînement et des études en culture physique et sport.
Ceux dont la famille habite près ont la chance de retourner à la maison tous les soirs. Les autres doivent généralement patienter tout un mois pour être récompensés de quelques jours à la campagne chez leurs parents. L’année entière se déroule ainsi, sauf quand arrive le championnat national Playa Girón : le tournoi est suivi de trois semaines de vacances bien méritées pour tout le monde.
L’équipe en revient justement. La province de Holguín y a récolté deux médailles de bronze, chez les poids lourds et les superlourds, terminant dixième sur 16 au classement national.
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Sachant que nous allions lui rendre visite aujourd’hui, l’ex-entraîneur de José, Alian, attend dehors. Quand il aperçoit son ancien élève de l’autre côté de la rambarde, il sourit largement, puis l’accueille avec une chaleureuse accolade.
Les boxeurs de l’Académie assistent à la scène. Ils sont assis à l’ombre près de l’entrée, distribués sur deux plaques de béton faisant office de bancs. Je ne le sais pas encore, mais ils attendent que sonne l’heure de leur deuxième entraînement de la journée. Pendant que José échange avec Alian, les jeunes discutent calmement, blaguent entre eux, observent. La plupart, torse nu, portent le short rouge ou bleu de compétition, usé par la sueur et le soleil.
En voyant leur habillement, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour mon entraîneur, Mike. Lorsque ses boxeurs professionnels lui décrivent – toujours avec excitation – le short de boxe qu’ils se feront confectionner sur mesure pour leur prochain combat, Mike se plait à leur répondre : « Impressionne le monde avec tes coups de poing, pas avec la couleur de ton linge! » Assurément, ici, il aurait été servi.
José s’informe des récentes performances de l’équipe, puis Alian s’empresse de lui demander s’il a poursuivi sa carrière au Canada. Il lui répond par la négative baissant furtivement les yeux, comme un fils craintif de décevoir son père, et évoque les livres en trop pour tourner le tout à la blague.
Pendant que les deux hommes renouent, Lenar Pérez passe derrière eux en courant nonchalamment vers les dortoirs. Tous les ingrédients du champion sont réunis dans ce grand bonhomme de 18 ans, médaillé aux derniers nationaux chez les -91 kg. Élancé et athlétique, il a la physionomie dont rêvent tous les boxeurs olympiques.
Pendant que Lenar terminait avec le bronze à Playa Girón le mois dernier, Julio César La Cruz – quadruple champion du monde et champion olympique à Rio chez les -81 kg – faisait du -91 kg sa catégorie en remportant l’or. Seul l’avenir nous dira si Lenar réussira à briller malgré le succès grandissant de son rival. Chose certaine, le défi est à la mesure de son potentiel.
Lenar ressort des dortoirs quelques minutes plus tard, ayant troqué son jeans et son chandail à manches longues pour une paire de vieilles espadrilles gris-vert, des bas à mi-mollet fatigués et le même short bleu de compétition que ses compatriotes. Le voyant sortir, Alian interrompt brièvement la discussion avec José pour demander au jeune s’il est passé par la cafétéria, soucieux que son athlète n’entre pas au gym le ventre vide. En faisant non de la tête, Lenar pince les lèvres signifiant de ne pas s’inquiéter, puis rejoint les autres.
Un sifflet ne tarde pas à se faire entendre. Plus exactement, de multiples coups de sifflets stridents et quelque peu désagréables, mais personne ne semble en faire de cas. C’est l’un des entraîneurs adjoints qui se charge de rapatrier les troupes pour le début de la deuxième séance de la journée. Sans se presser, ni rouspéter, tous se dirigent vers le gym. Deux sont pieds nus, aucun ne porte de bottes de boxe. Pas de sac d’entraînement non plus.
Alian nous offre alors d’assister à la séance. La petite Ariane en moi est excitée, mais l’adulte championne du monde se contente d’acquiescer en souriant et de rester cool. 😉 J’attrape mon téléphone pour prendre quelques photos et suis l’équipe vers ce qui ressemble plus à une grange qu’à un club sportif.
La lumière qui filtre entre le haut des murs et le toit en tôle éclaire l’immense photo du Che qui nous accueille à l’entrée. Juste en dessous, une vingtaine de casques et autant de paires de gants sont alignés contre le mur. Les gants Wesing de 10 oz – fournis par l’État – servent pour le sac, le travail technique et le sparring. Ils ont rendu l’âme il y a longtemps déjà, certains ayant même perdu de grandes lanières de la cuirette rouge ou bleu qui les recouvrait.
À droite de l’entrée, deux séries de cordes molles s’entrecroisent pour diviser l’espace en quatre immenses rings à hauteur du sol. À gauche, onze sacs disposés loin les uns des autres meublent l’espace.
Après un réchauffement collectif assez court, tous attrapent une paire de gants et choisissent un sac. Pendant ce temps, le jeune superlourd de l’équipe passe la porte. Chaussé d’espadrilles qui, sans exagération, révèlent plus d’orteils qu’ils n’en cachent, il se dirige vers l’entraîneur au sifflet pour justifier son retard. Quelques minutes suffisent à négocier sa participation à l’entraînement; se pressant, il rejoint les autres et enfile des gants.
S’en suit un travail de sac dirigé de cinq rounds. Dès les premiers instants, je repère quelques talentueux qui se démarquent par la fluidité de leurs mouvements. Pendant que chacun danse autour de son sac, concentré, quatre entraîneurs sillonnent les rangées, mains jointes derrière le dos, s’arrêtant brièvement à l’un et à l’autre pour faire part de leurs observations avec enthousiasme et fermeté.
Près de la porte, un jeune novice au physique vierge fait pleuvoir les coups. Alors que commence le quatrième round, un entraîneur s’approche de lui pour laisser tomber un vieux pneu sous son sac de frappe, l’obligeant à bien étirer les bras. Il lui rappelle de se placer plus loin de sa cible pour lancer; ses orteils ne doivent pas buter contre le pneu.
Le débutant s’applique pour donner satisfaction au maître, espérant sans doute retenir son attention quelques secondes de plus avant qu’il poursuive son chemin vers le voisin de sac. La volonté du jeune boxeur compense largement pour sa technique presque inexistante. Même si ses mouvements lui coûtent plus cher qu’à ses compatriotes d’expérience, il déploiera la même intensité qu’eux tout au long de la séance, serrant les dents et plissant le visage à quelques reprises comme pour mieux supporter l’effort.
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La deuxième partie de l’entraînement a lieu dans la « grange » d’à côté : une courte séance de musculation libre, l’objectif étant simplement la remise en forme après les vacances. Un banc pour le bench press, un appareil de leg press, quelques barres et disques; voilà tout ce qui occupe le vaste plancher de béton où les gars évoluent paresseusement d’une station à l’autre. Leurs muscles fatigués n’affectent en rien leur humeur, chaque moment de répit étant prétexte à plaisanter.
Quand retentit le dernier coup de sifflet et que les boxeurs se dirigent vers l’extérieur, j’excuse leur paresse, apprenant qu’une course de 7 km les attend. Alian les suivra à bicyclette pour s’assurer que tout le monde exécute la tâche, puis les laissera récupérer jusqu’au lendemain.
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Sur le chemin du retour, pendant que l’odeur de malt me traverse les narines et que le soleil tape, je réalise que je ressors de l’académie encore plus fascinée qu’à mon entrée. Loin d’avoir percé le secret de la supériorité des Cubains en boxe, j’éprouve un respect encore plus grand pour ces athlètes au quotidien tellement plus rude que le mien.
Un système rigide, une structure solide qui a fait ses preuves. Des entraîneurs éduqués et soucieux, qui travaillent en équipe et traitent leurs athlètes comme leurs propres fils. Des athlètes assidus, dociles et déterminés. Un mental endurci par l’absence de ressources et un nationalisme à toute épreuve. Voilà les principaux ingrédients du succès de cette nation qui s’impose à l’échelle mondiale depuis des décennies.
Prendre conscience des conditions dans lesquelles s’entraînent nos adversaires potentiels fournit une perspective qui peut devenir un outil précieux. Servez-vous-en pour repousser vos propres limites et vous motiver à faire réellement tout ce que vous pouvez pour atteindre vos buts.
S’il fait tempête dehors et que vous aviez prévu courir, le mauvais temps suffira-t-il à vous donner bonne conscience de rester au chaud à « Netflixer »? Pensez-y… il ne neige pas à Cuba, ni en République dominicaine, ni…
Réfléchissez-y à deux fois quand vous aurez envie de reporter votre entraînement parce que vous avez un peu mal au ventre, que vous avez mal dormi ou que vous avez oublié vos « bons souliers de course ». Gardez en tête que, pour plusieurs athlètes avec qui vous vous retrouverez dans le ring, sauter un entraînement n’est simplement pas une option.
Alors, leur concèderez-vous cet avantage?
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Lenar Pérez Fransúa a fait ses débuts professionnels en novembre 2018 à Vladikavkaz, en Russie et est à ce jour invaincu.